À quelques 900 kilomètres de la capitale mongole. L’extrême nord lance un appel ; celui de la glace. Dans cette province septentrionale, le lac Khövsgöl y trône. Elevé à 1645 mètres d’altitude, les montagnes l’encadrent. Il est le second plus grand lac de la Mongolie ; émergé des antres de la Terre il y a plusieurs millions d’années. En ce lieu magistral se déroule chaque année, depuis 2002, le Festival de la Glace. Bordé d’arbres, la taïga nous ouvre ses portes.

Samedi 2 Mars 2019. Il est 8 heures. La température extérieure est douce. Un léger et supportable -10°C. Les premiers rayons du soleil caressent le lac gelé. Partiellement enneigé. La puissance de l’astre solaire laisse entrevoir les éphémères fissures aquatiques, prisonnières du froid. Créant une toile blanchâtre sous marine. Sa surface est lisse. Le visage de la patinoire, grandeur nature, se profile. C’est l’heure pour nous de nous élancer. À l’assaut de la glace.

Les oiseaux du hasard ont poussés Tsegmid à notre rencontre. Cette vieille femme âgée de 80 ans illumine à elle seule ce lieu mystique. Vêtue de sa deel -tenue traditionnelle mongole- elle revêt l’attitude d’une reine. Une prestance solennelle dans sa deel aux couleurs de la neige. Brodée par des fils d’or. Un dessin de rênes complète le tableau. Son bonnet en feutre est assorti à sa tenue. Son long manteau de fourrure vient sublimer l’oeuvre vivante. Ses bottes sont en adéquation avec son manteau. Ses boucles d’oreille et sa bague turquoise apportent une note différente à cette unicité. Le tout est d’une harmonie parfaite. Sa beauté est à couper le souffle. À côté le froid n’a plus aucune emprise sur ma respiration.

Le festival a lieu sur l’autre rive du lac. Il faut traverser cet antre frigorifié. La voiture chauffe. Nous montons. Tsegmid siège à ma droite. Bolor à ma gauche. Chuka et Khadbaatar sont à l’avant. Nous nous élançons sur notre erre de jeu de la présente journée : « la perle bleue foncée« . Le bruit des pneus grince sous le poids de la voiture ; écrasant le sol givré. Le son est harmonieux. Quand tout à coup, Tsegmid demande l’arrêt du véhicule. Elle fait ses premiers pas sur le lac. Nous la suivons. À mon tour, mes pieds touchent le sol. Mon cœur palpite. La vue est indescriptible. Le spectacle saisissant. Le ressenti mystique. Sous mes pieds 267 mètres de profondeur. Dont sept ou davantage sont gelés. Bulles d’air prisonnières, fissures blanchâtres viennent briser le décor bleu turquoise. Je m’assois. J’aimerai être enfermée dans cet espace. Solidifiée, fossilisée. Je m’évade. Quand, d’un seul coup, une voix douce et puissante vient briser le parfait silence. Tsegmid vient d’entamer une chanson. Sa gutturale voix est libératrice. Le chant salvateur. Le soleil caresse son visage. La glace rafraichit ses pieds. Entre terre et ciel, ou devrai je dire entre eau et ciel le temps se fixe. Ses cordes vocales vibrent…va t’elle finir par briser ce sol cristallisé ? Tout mon être est aspiré, absorbé. Une larme coule le long de son visage. Je ne saurai jamais si c’est de l’émotion ou le froid. L’image est intemporelle. Elle vient de figer cet instant dans la glace. Pour l’éternité.

Emprise d’émotion, nous poursuivons sur le site…en direction du festival. Les voitures se garent en bordure du lac. Les premiers pas ne sont pas faciles. Ce sol glisse, la réverbération du soleil est douloureuse. Mais le tableau général n’en est pas moins idyllique. Les odeurs se mêlent aux couleurs. Le rose contraste avec le bleu. Les brochettes de viande version barbecue et la barbe à papa font frémir les papilles. Le feu fait écho au soleil. Tous deux réchauffent les cœurs, les corps. Les vendeurs ambulants sont en demi-cercle, à même le sol. Celle ci vend des bonnets. Fourrures à foison. Laquelle choisir pour une utilisation optimale ? Celle là commercialise l’aarul…fromage séché à la saveur salée ou sucrée. Possibilité d’acquérir une écharpe en cachemire, des deels nouvelle génération avec capuche et poches intégrés, des sacs en cuir, des lunettes de soleil provenant de Corée, des tableaux mettant en scène la magnificence du paysage mongol aux couleurs pastels…Également des plantes médicinales. Le süütei tsai a bien évidemment toute sa place. Les thermos jonchent le sol. Une vapeur s’en émane ; à peine ouvert. N’oublions pas les stands de bonbons pour les plus petits comme les plus grands…Pour tous les enfants et ceux qui savent encore l’être. La distraction peut être de tout ordre. Les archers, les tireurs de fléchettes, le tir à la corde, le patin à glace, les balades à chevaux sur des traineaux de fortune en bois…Les enfants se relaient pour glisser sur le mini toboggan de glace.

Au milieu de la scène on y trouve des dômes de glace, tels des igloos, pour abriter les buveurs. Juste à côté un podium prend place. Où durant les trois jours de festivité des chanteurs se succèderont. La transcendante voix mongole aura t’elle raison de l’épaisse couche de glace ? L’ambiance est conviviale, bonne enfant. Les rires vont bon train. Les mongols aiment s’amuser, à tout âge ; soulignant le trait culturel de cette nation. Cet homme fait du patin à glace. Celui-ci tire une luge dans laquelle dort paisiblement son enfant, imperturbable. Ce dernier se fait pousser par sa femme, tout en glisse et en rire. Quand à ce couple de vieilles âmes ils se tiennent la main et avancent avec prudence. Tous les âges sont réunis. Mes yeux ne savent plus où regarder. Des deels de toutes les couleurs affluent. Des enfants aux vieilles personnes en passant par les adultes. Chacun arbore fièrement la sienne. C’est un festival de couleurs : un arc en ciel aquatique.

Vient l’heure d’aller faire un tour de cheval à traîneau. Nous prenons place dans ce véhicule de bois. Tsengel cet éleveur sera notre guide. Vêtu d’un chapeau de fourrure de renard. Jonché d’un ruban brodé aux couleurs de sa deel. Celle-ci d’un bleu nuit éclatant. Sorti tout droit d’un conte des mille et une nuit. La douceur de son visage. Sa rondeur. Ses yeux malicieux. Il est empli de sérénité. Son calme intérieur se reflète sur son corps. Un visage d’enfant aux allures d’homme. Il est beau. Ces pommettes sont fragilisées par le froid. D’un rose brun. La dureté du climat n’a pas épargné son visage d’ange. De part son allure, son attitude, il n’a l’air de faire qu’un avec son environnement. Est-ce un leurre ? J’aime l’idée de cette unicité en tout cas. Bien installés dans le traineau, nous nous baladons. Une balade à cheval. Rythmée par le son des sabots sur le lac. Ce bruit léger et harmonieux répond à la sonorité des deux clochettes positionnées sur le dessus d’une structure en forme d’arche en bois. Servant d’attelage. Se laisser bercer. La sensation d’être en apesanteur. Il n’y a qu’une chose à faire : admirer l’immensité. Sous un soleil éclatant. Au pays du grand ciel bleu.

Le soir les esprits se laissent porter à droite à gauche. Au rythme du dance-floor improvisé ou de la représentation chamanique. Nous tenterons d’assister à la seconde. C’est une démonstration d’énergisation des corps. Dans le monde chamanique, l’esprit du feu trône en maitre. Il revêt le symbole de la protection. Des offrandes sont amenées autour de cette structure de bois en forme de ovoo, embrasée. Il s’agit de remercier, de contenter les esprits qui gisent au cœur de cet élément. Le feu se veut flamboyant, vivace, éclatant. Puissant. Les chamans, de part leur rites, arborent le rôle de médium. Ils se nourrissent de l’énergie spirituelle des flammes afin de la diffuser aux âmes présentent. Le culte du feu dans la nuit prend tout son sens, son ampleur. Les chamans, au nombre de 13 sont positionnés en cercle, au milieu de la scène un feu est érigé. Un feu immense sur la glace. La fumée se dissémine doucement dans l’atmosphère. Les étoiles brillent dans ce ciel obscur. La scène est surréaliste. Des voitures l’encercle. Pour pouvoir assister à la représentation, petits et grands se sont perchés sur les toits de leur véhicule. Nous tentons de pénétrer dans le cercle…en vain. Les tambours retentissent, des cris à l’unisson sont poussés par les mongols envoutés. Plusieurs chamans de renommée sont présents en cette soirée. Tout un chacun veut avoir l’honneur et le privilège de participer. Je finis par me hisser sur le toit d’un 4×4. Je peux afin voir ce qui se déroule dans l’arène. Autour du feu les chamans en tenue vont et viennent vers les spectateurs assis. Au rythme des tambours, ils attisent le feu, celui ci prenant des formes atypiques. Chacun y verra ce qu’il veut. J’y vois un phénix. C’est une fenêtre sur l’imaginaire. Ce n’est pas une expérience chamanique individuelle. Chacun est là pour être énergisé. Chacun vit l’expérience de façon singulière. Se ressourcer. S’entretenir avec l’autre monde. Celui des esprits. La raison n’a pas sa place ici. Aucune explication n’est à donner. Il faut être là, voir et ressentir.

En cette terre, fief du chamanisme, la magie ne peut qu’opérer.