Une vie d’éleveur déroulée au cœur d’un même campement d’hiver et de printemps, 38 années écoulées à Tsagaan Ouss, département de Jinst à Bayankhongor. C’est derrière un sourire pudique mais enjoué que Gantumur nous conte sa vie. Leur vie. Leurs observations, leurs expériences, leurs déductions, l’évolution de leur mode de vie ancestral. Mais c’est surtout sur la disparition des pâturages qu’il s’attarde, visuelle et progressive. Notamment depuis 1995, phase de démocratisation et de glorification gouvernementale des éleveurs possédant le plus grand nombre d’animaux, ce qu’il déplore. Période clé depuis laquelle il décèle l’absence de pluie, l’accentuation de sécheresse entrainant inévitablement la perte de dizaines de plantes endémiques. La dégradation des pâturages est une menace directe pour leur survie. Il en a pleinement conscience, « le bétail et l’homme détruisent l’environnement », esquisse-t’il. Il sait qu’il en va de la responsabilité de chaque éleveur. Il insiste sur le fait de ne pas dépasser le nombre de 500 têtes par cheptel. Le leur oscille entre 400 et 600, s’accentuant en avril à la saison des naissances, il diminue au mois d’octobre. Dans son idéal « il faudrait être stabilisé à 400 têtes ».

Ce printemps la sècheresse frappe. Plus fortement. Elle est le résultat d’un « hiver noir », sans neige. Le vent s’abat sur ce désert également. Et la pluie se fait patiemment attendre. On ne monte plus les chevaux, trop affaiblis. Une éventuelle insécurité alimentaire du bétail inquiète. Le stock de nourriture s’amenuise. Le fourrage « coupé à la main l’automne dernier » est épuisé, il reste quelques sacs de compléments alimentaires, « seront-ils suffisants ? » Un nouveau dzud menace, la situation peut devenir critique. « Le dzud arrive car la nature se fâche contre nous, nous devons tous réduire le troupeau », lance Gantumur en faisant référence à une sorte de vengeance.

Le travail d’éleveur n’est pas aisé. Il nécessite du courage, d’être en permanence actif et en bonne santé. Selon Gantumur et Tumendemberel -sa femme- ils constatent « une perte de motivation de la part des nouvelles générations pour exercer ce métier ». Ils regrettent la dévalorisation des matières premières, telles que le lait et la viande, « presque gratuites aujourd’hui ». Le « seul moyen de s’enrichir » reste le cachemire, surenchérit Tumendemberel. Dans cet avenir incertain, ils font figure d’exemple. Poursuivent bravement et consciencieusement leur chemin. Dans cette société complexe, un ultime paradoxe vient clore cette interview : « le printemps est la plus difficile des saisons mais elle est aussi celle qui nous emplit d’une joie immense et d’un accomplissement de taille : les naissances. »