Quitter la vie à la campagne au profit des commodités procurées par la ville ; d’illusion en désillusion. « Le climat est froid, la vie est dure sous la yourte, j’étais fatiguée du trajet pour accéder au puits ». Tsevelmaa raconte leurs premières années de vie commune, lorsqu’ils vivaient avec Batbold -son mari- au centre sum de Bogd à Bayankhongor. Elle était alors âgée de 21 ans, maman de deux enfants. Ils louaient une maison au village, Batbold partageait son temps entre sa vie d’éleveur -à une heure du domicile- et sa famille. « Je ne voulais pas laisser mes enfants à la charge de ma mère », volonté d’être présente pour leur éducation. Ainsi fut leur vie, morcelée, pendant dix ans.

En 2013, la famille décide de partir s’installer à « la ville, la capitale », pour que Zaya -leur fils aîné- fasse ses études. Ils aspirent à un avenir meilleur pour leur progéniture, ils pensaient que la vie à Ulaanbaatar (UB) leur offrirait « une vie confortable : on pourra tout y faire, même trouver un travail sera facile ». Ils ont vécu deux ans chez le frère de Tsevelmaa, agglutinés dans les quartiers de yourtes de Chingeltei, « près du marché de viande ». Batbold alternait les jobs, entre un supermarché et le bâtiment, qu’il qualifie volontiers de « jobs nuls, sans avenir ». Il se remémore « l’odeur horrible du charbon, nauséabonde ». Durant ce laps de temps des problèmes de santé sont apparus : Tsevelmaa a pris du poids à cause du stress, elle était victime de maux de tête récurrents. Tous souffraient de toux, de grippe « à cause de la pollution ». « L’air pur et rafraîchissant de la campagne » leur manquait. Leur vie à UB était « des plus tristes », sous l’emprise d’une routine infernale où l’appel de la « liberté de la campagne se faisait quotidiennement ressentir ».

Un matin en 2015, Zaya leur énonce l’envie de retourner à Bogd : « j’en ai marre de cette vie désagréable, sans amis, je veux devenir finalement éleveur. » Sa mère de rajouter aujourd’hui « ses grands parents étaient éleveurs, ses parents aussi, peut être c’est son destin également. C’est un homme de la terre, du nutag. » C’est sur ces mots, après avoir expérimenté la vie citadine et découvert ses aspects négatifs, qu’ils ont repris le chemin vers l’élevage. Ils se questionnent encore aujourd’hui : « Pourquoi avoir quitté notre mode de vie ancestral ? Pourquoi avoir cherché une meilleure vie ailleurs et dénigré celle que l’on avait ? Erreur de jeunesse ? »

De retour aux sources, sur leur campement à Surhaitin, entre lac et montagne : perte de poids et sensation de sérénité à nouveau. Tsevelmaa est retombée enceinte, après des tentatives infructueuses, ce qu’elle considère comme un « cadeau du maître des lieux ». Pendant leur absence, leur grande famille s’occupait d’1⁄4 de leur ancien troupeau, ils ont racheté quelques têtes. Désormais, le fait d’être éleveur ne leur procure « que du bonheur : aucun stress, air pur, nourriture saine ; hors de question de retourner à UB. Être éleveur reste le meilleur métier du monde si le climat est bon ». Leur seule préoccupation réside dans l’avenir de leur fils. Tsevelmaa est inquiète qu’il ne trouve pas d’épouse car « elles sont toutes attirées par la ville et par le teint blanc des femmes qui y vivent ». Ce teint porcelaine qui est l’indicateur de beauté du pays.